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Message d’António Guterres, secrétaire général de l’ONU, à propos des violences conjugales pendant la période de confinement

«Ces fantasmes, ça me pourrit la vie. Je ne veux pas finir comme un pervers.» Longtemps seul face à ses pulsions envers les enfants, Bastien est désormais suivi. Mais la prise en charge thérapeutique des pédophiles, qui pourrait empêcher des agressions, reste balbutiante face aux réticences de la société.

Cet ingénieur de 39 ans évoque dans le cabinet de sa psychologue ses pulsions qui «resurgissent de temps en temps»: «Dans ces moments-là, on se sent vraiment seul, on ne peut parler à personne.»

Pour éviter cet isolement, associations et psys essayent de promouvoir des structures d’aide, et même une ligne téléphonique spécialisée. Mais reconnaissent se heurter à des incompréhensions, dans une société qui cherche à mieux entendre la parole des victimes et peine parfois à concevoir que l’on s’intéresse aux auteurs.

«Un sujet tellement tabou»

«C’est dans l’ombre qu’ils sont les plus dangereux», assure la psychologue Inès Gauthier, spécialiste du sujet. «Il ne faut pas les rejeter, pour qu’ils puissent parler de leur problème et le comprendre».

«C’est un sujet tellement tabou. On met tout de suite le mot monstre, il n’y a pas de demi-mesure», constate Yannick, un musicien de 35 ans rencontré par l’AFP, accro aux images pédocriminelles.

«Hyper sexualisé» à l’âge de six ans, initié à des jeux sexuels avec un garçon d’environ 12 ans, il dit avoir gardé de cette époque le fantasme «de gamins entre 6 et 12 ans, avant la puberté», mais affirme n’avoir jamais agressé physiquement un enfant.

En 2016, il est interpellé puis condamné à trois ans d’injonction de soin et à un suivi socio-judiciaire. Dans son ordinateur, la police a trouvé 613 photos et 69 vidéos pédocriminelles.

«Toucher le fond»

«En garde à vue, c’est comme si j’avais touché le fond de la piscine pour ensuite remonter. Je parlais, parlais… C’était dur et à la fois libérateur», témoigne celui qui a depuis entamé une thérapie et participe à des groupes de paroles avec d’autres pédocriminels.

Bastien affirme lui aussi n’être jamais physiquement passé à l’acte. Mais il connaît des «phases de boulimie» d’images pédopornographiques – un délit passible de deux ans d’emprisonnement et 30’000 euros d’amende – qu’il tente de refréner.

«Tout m’a explosé à la figure. Je me suis rendu compte que j’étais un criminel, que j’allais finir en prison…» 

Lui-même agressé sexuellement, à l’âge de neuf ans, par un garçon d’environ 12 ans – une expérience source d’un «mélange de terreur et de plaisir (qu’il) n’aurait jamais dû ressentir» – il s’est découvert pédophile à 20 ans, en voyant sur internet une photo porno mettant en scène un adolescent.

«Tout m’a explosé à la figure. Je me suis rendu compte que j’étais un criminel, que j’allais finir en prison… Mais ce qui est horrible c’est que, comme l’alcoolisme ou les drogues, j’y retourne.»

En proie à un profond mal-être, il consulte un premier psychiatre à 23 ans, qu’il sent «bienveillant mais démuni» face à son problème. Quinze ans plus tard, il prend attache avec un Centre ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS) et démarre un suivi.

Un auteur sur trois, lui-même déjà victime

En France, on estime que chaque année, plus de 130’000 filles et 35’000 garçons subissent des viols ou des tentatives de viols, en majorité incestueux. Un auteur sur trois aurait lui-même été victime de violences sexuelles dans son enfance.

En 2016, quelque 19’000 personnes ont été condamnées pour viol ou agression sexuelle sur mineur. Et 400 personnes sont condamnées chaque année pour détention d’images pédopornographiques.

Et encore, ces statistiques sur les pédocriminels ne disent rien du nombre de «pédophiles abstinents», ayant une attirance pour les corps prépubères, sans pour autant commettre d’infraction. Au total, 5 à 10% des adultes pourraient avoir des fantasmes pédophiles, selon le Dr Anne-Hélène Moncany, présidente de la Fédération française des CRIAVS.

Or, «il faut prendre en compte les auteurs pour éviter la récidive, mais aussi ceux qui ne sont pas passés à l’acte, pour éviter qu’ils le fassent», ajoute cette psychiatre installée à Toulouse.

Groupe de paroles pour victimes et pédophiles

Du fait de leur difficulté à évoquer leurs pulsions, les pédophiles «s’enfoncent dans leur problème. Cela favorise le passage à l’acte, et aussi l’impossibilité de vivre une sexualité épanouie», souligne-t-elle.

Dans son salon de la banlieue parisienne, la présidente de l’association l’Ange bleu, Latifa Bennari, réunit chaque mois depuis 1998 pédophiles abstinents et agresseurs pour un groupe de parole qui associe aussi des victimes.

«Auteurs comme victimes souffrent. Mais c’est l’auteur qui impose sa souffrance à l’autre et en crée de nouvelles»

Abusée la nuit pendant plusieurs années par son beau-père lorsqu’elle était enfant, Juliana, 45 ans, fréquente ce groupe pour «comprendre ce qui se passe dans la tête d’un pédophile». Son récit a permis à Bruno, père incestueux, de prendre conscience que ses enfants ne dormaient pas quand il abusait d’eux. Un choc.

«Auteurs comme victimes souffrent. Mais c’est l’auteur qui impose sa souffrance à l’autre et en crée de nouvelles», analyse-t-il.

Il est «plus efficace d’apporter une écoute et une empathie pour sevrer que de durcir les peines d’emprisonnement», soutient Mme Bennari, estimant que «rien n’est fait pour éviter le premier passage à l’acte.»

Mais le message «reste compliqué à faire passer», observe le Dr Moncany, car la pédophilie suscite des «réactions encore très vives».

«On se heurte à des clichés, comme ce sont des monstres, pourquoi les aider? ou bien de toute façon, on ne peut pas les soigner. Alors qu’il y a des psychothérapies et des traitements médicamenteux validés», ajoute-t-elle. Encore faut-il pour cela, insiste Cécile Miele, sexologue à Clermont-Ferrand, former les soignants et déconstruire leurs propres clichés, car certains peuvent aussi avoir «peur pour leurs enfants».

Quant aux pédophiles, ils ont sur eux-mêmes «les mêmes préjugés, c’est pourquoi ils se détestent». «Ils consultent si on leur ouvre une porte. Sinon, ils ont bien trop honte.»