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Briser un silence destructeur

Abusée par son père avec la complicité de sa mère durant son enfance, Marie déclare que c’est le travail sur elle-même effectué avec l’aide de trois thérapeutes qui lui a permis de s’en sortir. Elle ne témoigne pas dans un esprit de vengeance, mais simplement pour transmettre un message d’espoir aux victimes d’abus en les incitants à parler. «Il n’y a rien de plus destructeur que le silence !», s’exclame cette quadragénaire qui est revenue s’établir dans le Jura bernois plus de vingt après son départ pour l’Arc lémanique. «On m’a volé mon enfance, mais pas mes racines», confie Marie, qui a repris goût à la vie après une lutte longue et douloureuse durant laquelle son courage a accompagné sa rage. 

«Vous n’avez pas gagné. Je n’ai pluspeur de vous !» Tels sont les mots prononcés par Marie à l’égard de ses parents lorsque nous avons recueilli son témoignage, aussi poignant que bouleversant. Composé d’inceste, d’abus sexuels et de maltraitance, son calvaire fut également vécu par ses trois sœurs et son frère. «Manipulatrice, ma mère missionnait mon père pour nous infliger ces horreurs quand il rentrait le soir après son travail», confie-t-elle. «Dans mon cas, il me frappait en profitant de moi. Si je me suis longtemps murée dans le silence, c’est tout simplement parce que rien n’indiquait que je n’étais pas dans la normalité, aussi bizarre que cela puisse paraître.» 

Vaine tentative d’appel à l’aide 

Ce qui révolte le plus Marie, dans cette histoire, c’est que son appel à l’aide lancé aux autorités de son village alors qu’elle avait 19 ans n’a pas trouvé un écho favorable sous prétexte que des gens qui se rendent à l’église ne peuvent pas commettre des actes aussi odieux. «J’aurais préféré avoir un bras en moins. Dans ce cas, on aurait reconnu mon handicap. Mais-là, rien ne transparaissait de mon vécu et à force de secouer le sac à merde, c’est moi qui passait pour la coupable et non pas pour la victime. Je suis même devenue le problème de la famille. Cherchez l’erreur !» Et Marie d’ajouter : «Evidemment, j’aurais aussi pu me tourner en direction de la justice, mais c’est lourd et compliqué. J’ai préféré garder mon énergie pour m’occuper de moi et je ne le regrette pas.» Dans son témoignage, Marie explique qu’elle n’a pas seulement vécu l’enfer dans le cadre familial, mais également à l’école où son look directement sorti du feuilleton «La Petite Maison dans la prairie» et l’affiliation avérée de ses parents à la religion attiraient les moqueries des autres enfants comme un aimant. Un calvaire supplémentaire pour Marie dont le chemin de croix lui a réservé moult souffrances comme une tentative de suicide et l’automutilation que sa mère pratiquait également. Parmi les faits marquants de son existence, on citera cette phrase de son père, prononcée alors qu’il ne l’avait plus vu depuis 15 ans : «Tu resteras toujours ma fille et je ne t’en veux pas.» Glaçant ! 

Une éducation assurée par les thérapeutes 

Les débuts de sa vie professionnelle ne furent guère plus glorieux puisqu’elle a enchaîné les petits boulots dans la restauration et la vente sans véritablement trouver le chemin de l’épanouissement. Son salut, Marie l’a trouvé durant sa période de reconstruction grâce à l’aide de trois thérapeutes, en l’occurrence trois dames, qui ont non seulement joué un rôle décisif sur son effet psychologique, mais également sur son éducation et sa manière de s’exprimer: «Dans mon malheur, j’ai eu la chance de saisir la perche qu’on me tendait», explique-t-elle. «Et si j’ai sauvé ma peau, c’est aussi parce que j’ai quitté le village familial. J’ai toujours su que je partirais un jour…» Après plus de vingt ans passés respectivement à Lausanne et à Genève, Marie a réussi à surmonter ses peurs et ses angoisses. Paradoxalement, c’est là où le destin s’est acharné sur elle sans pitié que Marie a décidé de déposer son baluchon. «Je considère un peu ce retour aux sources comme un pied de nez. En fait, c’est ma plus grande victoire ! On m’a volé mon enfance, mais pas mes racines. Ce n’est pas moi qui ai fait le mal. Je n’ai rien à me reprocher; il n’y avait donc aucune raison pour que je continue à me cacher. Mon sentiment de culpabilité n’a pas encore totalement disparu, mais il n’est plus du tout comparable avec celui qui m’a rongé durant toutes ces années.» S’agissant de l’aspect relationnel, Marie précise qu’elle développe toujours une forme de méfiance envers son prochain en ajoutant que sa douloureuse expérience l’a transformé en radar ambulant. «C’est un peu comme si j’étais doté d’un sixième sens», relève-t-elle. 

«Le silence tue, brisons-le !»

Aujourd’hui, Marie a repris goût à la vie : «Je suis en paix avec moi-même. J’ai opéré une reconversion professionnelle dans le monde de la photographie et j’y trouve la sérénité.» Pour conclure, elle tient à préciser que le fait de relater son témoignage dans les médias n’est pas lié à un esprit de vengeance. Sa démarche vise uniquement à transmettre un message d’espoir aux personnes qui subissent un sort identique en les incitants à parler. «Le silence tue. Il faut le briser pour emprunter la voie qui mène à la délivrance avant qu’il ne soit trop tard.» 

Olivier Odiet / image:  idd